« Interview autisme, handicap » Radio Club Altitude 28/5/13 avec Alexandra Chaintreul

http://www.clubaltitude.fr

Si vous êtes là aujourd’hui c’est pour parler principalement de votre travail avec des personnes autistes. Pour commencer, est-ce que vous pouvez nous dire ce qui vous a donné envie de faire ça ?

Il y a deux ans au Conservatoire de Bourg-en-Bresse, j’ai eu dans ma classe de piano un élève qui s’est avéré être autiste. Je me suis très rapidement rendu compte qu’avec une formation « traditionnelle », je ne pouvais pas du tout travailler avec lui. Il fallait déjà connaître son fonctionnement. Sauf que le fonctionnement des enfants autistes n’a rien à voir avec celui d’un enfant ordinaire !

Alors que je cherchais de l’aide, le directeur du conservatoire m’a mis en contact avec Alain Goudard, le fondateur des « Percussions de Treffort ». C’est un ensemble professionnel de percussionnistes qui associe des musiciens en situation de handicap et des musiciens valides. Grâce à cet ensemble, Alain Goudard avait déjà une longue expérience dans ce domaine. Ensemble, nous avons eu l’idée de créer carrément un groupe de travail autour du suivi des élèves en situation de handicap dans des conservatoires avec 3 à 4 autres professeurs dans la même situation que moi. Parallèlement, j’ai fait des recherches pour trouver une formation qui concerne plus précisément l’enseignement du piano. Et j’ai trouvé à Paris l’endroit qui a changé ma vision de professeur et m’a confirmé que, oui, l’enseignement de piano à des personnes atteintes d’autisme est possible, et qu’il fallait absolument que je fasse cette formation !

Vous avez reçu une formation particulière ?

Oui, dans le centre musical pour personnes autistes de l’association APTE (Autisme, Piano et Thérapie Éducative) à Paris. Cette association a été fondée en 2006 par Françoise Dorocq, aujourd’hui la présidente. Elle donne non seulement des cours de piano aux enfants autistes, mais elle forme aussi – et ça, c’est formidabledes professeurs. Et en plus, elle s’engage auprès des élus et directeurs pour créer des classes spécialisées dans les écoles de musique et les conservatoires. Elle a initié et formalisé la « Méthode Dolce » avec laquelle le professeur guide et accompagne l’élève « en douceur » . Elle peut également être appliquée à des enfants atteints de trisomie ou d’un autre handicap, mental ou psychique, car ils ont pratiquement tous un problème avec leur corps. La pratique pianistique peut les aider à se le réapproprier et à retrouver des sensations si on peut aller jusque là…

Pendant cette formation, j’ai appris tout ce dont on a besoin pour travailler avec ce public bien spécifique : connaître le fonctionnement de ces élèves, savoir présenter des consignes courtes, claires et précises, pour que les élèves les comprennent et les exécutent, savoir quand on peut aborder cette sollicitation cognitive, acquérir les connaissances demandées pour progresser dans cet apprentissage, savoir quelle est la limite de ces demandes, savoir quelle pédagogie utiliser et évidemment comment l’encourager ! De plus, la formation a ouvert ma curiosité pour aller plus loin et faire le lien justement avec d’autres handicaps.

Je m’aperçois que c’est vraiment indispensable d’être formé, et je suis très contente d’avoir eu la chance d’ouvrir mon enseignement à ce public-là. Je constate même une influence positive sur l’ensemble de mon travail et me sens plus sensible encore au fonctionnement de chacun de mes élèves « ordinaires » (l’enfant autiste est un enfant « extra – ordinaire »).

Qu’est-ce que la pratique du piano peut apporter à une personne autiste ?

La pratique du piano peut surtout apporter une amélioration de sa capacité de concentration. Au début, il se concentre quelque minutes, la fois d’après encore plus longtemps etc. On a constaté que des synapses dans le cerveau, qui sont peu ou pas du tout sollicitées à cause de l’autisme, peuvent se réactiver. Peu à peu, l’enfant va gagner en confiance avec chaque obstacle surmonté ! C’est très important la confiance en soi.

Il n’y a que des bienfaits, car on valorise cette personne ! On ne cherche pas ses défauts, mais ses compétences et il y a en souvent d’insoupçonnées, des compétences incroyablement riches.

En tant que professeur, à travers la musique, on les aide à avancer dans leur vie : à communiquer, à agir, à prendre conscience de leur personne. La musique peut ainsi sortir l’autiste de son isolement et elle permet de partager aussi des émotions, son « rire » sans dire un mot !

Apprendre à jouer du piano, c’est aussi pour eux un moyen d’accéder à l’art, à la culture, à la musique. Je parle de la musique qu’on joue, qu’on fabrique nous même avec notre âme.

De plus, jouer du piano stimule son audition et fait travailler la mémoire à court et à moyen terme avec des chansons qu’il apprend…

Ces enfants ne sentent pas leur corps comme nous. Jouer du piano leur permet de prendre conscience qu’ils ont un corps avec des doigts, des mains et des bras. Et c’est eux qui jouent une musique qui sonne bien, agréablement à l’oreille. De plus, la pratique du piano permet d’exercer la mobilité des doigts et donc les fait progresser dans la psychomotricité et l’agilité des doigts.

Comment se déroule un cours ?

Déjà il faut entrer en contact avec l’élève, car les autistes évitent souvent le regard. Mais obtenir ce regard ouvre notre porte à l’interaction et permet le démarrage de l’apprentissage. Tout cela est très très complexe, mais il faut leur donner une sécurité et leur faire sentir qu’on les aime et qu’on croit en eux !

Concrètement, le cours dure 30 minutes et l’enfant reste seul avec moi, sans ses parents. Par contre, je prends des nouvelles de la semaine, puis je le remmène en échangeant quelques mots avec les parents.

L’idéal est une salle neutre avec uniquement le piano : toujours le même lieu, les mêmes habitudes, pour pas être perturbé par un seul détail. Il faut éviter au maximum les sollicitations extérieures. Pour l’horaire du cours, c’est en fonction de l’emploi du temps de l’élève, en favorisant le moment de la journée où il est le plus calme et ouvert.

Toujours en douceur, on commence à prendre contact avec l’élève. On stimule déjà les différents doigts par le toucher, l’appui, et en massant les doigts pour les fortifier.

Puis je commence à le guider et à l’accompagner dans de petits exercices avec un doigt, puis deux, jusqu’aux cinq doigts. C’est la base pour les petites comptines connues (Au clair de la lune, Frère Jacques, Do ré mi, la perdrix, Dansons la capucine, J’ai du bon tabac…) et c’est parti ! Prononcer et mémoriser les mots, c’est la joie, pour lui aussi bien que pour moi ! Un enfant autiste n’a pas d’accès aux mots, il découvre le monde par les images. C’est pour cela qu’utiliser la mémoire visuelle est très important. On peut d’ailleurs travailler avec de petites cartes qui signifient telle ou telle chose, exercice ou chanson, par exemple.

Je travaille au début sans partition et chante surtout les notes, avec l’élève si c’est possible. La lecture et le rythme peuvent venir plus tard…

J’alterne des phases de concentration et des phases de jeu et de plaisir. L’apprentissage est long, mais chaque progrès compte énormément.

L’élève va petit à petit prendre conscience de ses doigts, de ses mains puis de ses bras – une partie peut-être ignorée. Il va découvrir qu’avec ses doigts, il peut produire de la musique, ce qui lui procure un énorme bonheur et le fait rire en général !

Chacun avance à son rythme. Savoir exécuter une consigne peut durer et prendre beaucoup de temps, mais ici, et pour lui le temps ne compte absolument pas.

L’apprentissage se fait avec enthousiasme : on l’encourage, on le félicite, on le valorise, on le réconforte, un petit câlin… Il faut les rassurer, car ils sont capable de réussir, même si cela leur coûte un effort énorme ! C’est très difficile pour eux. Mais il faut prendre son temps et lui faire confiance. Au bout du compte, ils sont fiers d’eux.

On agit avec douceur et fermeté à la fois, car les enfants vous testent sans cesse ! Il faut garder leur attention, sinon ils partent et ils vous parlent d’autre chose, ils se lèvent du tabouret…

On guide l’enfant, on l’accompagne dans ses apprentissages, on soutient sa main, « main dans la main », jusqu’à obtenir qu’il fasse les mouvements lui-même, par reproduction d’abord, puis que ce soit une action volontaire de sa part ! Je travaille sur l’agilité des doigts (souvent le plus gros problème, car les doigts peuvent être très raides) avec des exercices adaptés… C’est pour cela que la technique pianistique est extrêmement bénéfique pour la psychomotricité fine !

L’élève ne travaille pas forcément les exercices à la maison, car il est guidé par moi. J’ai vu, même les enfants, qui ont un piano chez eux, ne jouent qu’une fois par semaine au cours ! Ce n’est donc pas nécessaire d’avoir un instrument à la maison, du moins au début.

En plus, ils ont une mémoire incroyable. Ils se souviennent de tout au cours suivant. Il ne faut surtout pas se tromper d’une note dans la mélodie, car c’est alors IMPOSSIBLE de l’enlever : c’est enregistré !

Actuellement, vous avez des élèves qui se trouvent dans cette situation, ou pas encore ?

À l’heure actuelle, j’ai un élève, Adrien, 8 ans qui est autiste. Évidemment, je voudrais travailler avec plus d’élèves quelque soit leur âge. La publicité est faite, j’ai même rencontré un éducateur et chef de service d’un établissement accueillant des autistes. Tout est en cours et je pense qu’on commence à en parler – heureusement, car la formation est récente et il n’y a pas encore beaucoup de professeurs formés. Pour les parents, qui ont peut-être l’habitude d’être refusés dans certaines activités, c’est nouveau d’avoir des activités spécialement dédiées à leurs enfants autistes, cela n’existe presque pas.

Alors chers parents, ne soyez pas surpris, donnez à votre enfant la possibilité de prendre des cours de piano  ! C’est  un enrichissement pour sa vie !

Je vous remercie, Alexandra, de m’avoir permis de parler de ces cours et j’espère qu’il y parmi des auditeurs des personnes concernées.

En plus de ces cours pour les personnes autistes, vous intervenez également dans une chorale qui intègre des personnes en situation de handicap. Ça veut dire que la musique et le chant sont des moyens d’oublier le handicap et d’aller de l’avant ?

Oui, j’ai un énorme plaisir à travailler avec ce groupe où se rejoignent des personnes trisomiques, autistes ou handicapées physiquement. Ils vous transmettent tellement d’émotions très fortes. Ce personnes sont très volontaires et je suis parfois surprise par leur courage.

Et puis, leur chorale est un lieu d’échange, un lieu où ils peuvent développer leur énergie. On travaille la mémoire des sensations pendant les exercices, ou des textes et mélodies. C’est un grand moment de plaisir, de bien-être également, et un moment qui fait oublier ses difficultés. La communication se fait dans une ambiance agréable, détendue, et on rigole beaucoup !

J’interviens pour un travail corporel, de posture, d’éveil, de relaxation, de prise de conscience de certains mouvements inutiles, mais aussi de projection de la voix parlée par exemple. Après, je fais travailler tout ce qui concerne la respiration en lien d’un côté avec le chant, mais aussi – et c’est très important – en lien avec la vie quotidienne, car c’est là où il y a des difficultés : parler à haute voix à une autre personne, dire clairement ce que l’on a à dire etc. Tout cela en fait partie. Puis je propose des jeux de rythme et de communication (du genre « Téléphone arabe »), puis on se met à chanter. Il faut déjà trouver la même note (pas si évident que ça !!!), puis on fait de petites vocalises. J’éprouve beaucoup de joie en tant que professeur dans ce cadre-là et ils me mettent très à l’aise.

La partie de chant est animée et accompagnée après par leurs deux animateurs : l’un est guitariste et l’autre chanteuse. Ensemble, ils forment une équipe formidable ! Bravo d’ici à Bruno et Charlotte pour s’être lancés dans cette belle aventure humaine.

Les chants sont choisis par tous, et c’est un plaisir de les voir et entendre : Le lion est mort ce soir, Manhattan Kaboul, Champs Élysées…

La chorale n’existe pas encore depuis longtemps et il y a encore beaucoup de choses à améliorer : mémorisation du texte, chanter juste etc., mais la motivation de chacun se ressent fortement et c’est cela qui va leur permettre d’avancer, en groupe mais aussi individuellement ! Chacun trouve sa place et est ainsi valorisé. J’ai d’ailleurs remarqué qu’ils s’entraident et se poussent pour arriver à surmonter une difficulté. C’est une assurance !

Les personnes ne sont pas si différentes de nous. Nous avons tous nos problèmes et difficultés, et chanter fait du bien à nous tous !

Si nos auditeurs souhaitent en savoir plus sur les différents cours et stage que vous proposez, comment peuvent-ils faire ?

J’ai créé un site internet et un blog où vous trouverez toutes les informations pratiques. N’hésitez pas à me contacter directement.

N’hésitez pas non plus à visiter le site de APTE autisme, il y a des vidéos, des concerts, un cours, etc. C’est très intéressant et cela parle de soi-même…

Dans l’avenir, est-ce que vous souhaitez développer tout ce travail que vous faites auprès des personnes autistes ou en situation de handicap ?

Ah oui, j’y ai pris goût, et ces personnes vous remercient tellement avec leur regard, leur sourire ! Cela n’a pas de prix pour moi de savoir que j’apporte du bonheur dans leur vie.

Je voudrais proposer un groupe pour faire de la musique avec des percussions, etc. et pour chanter, découvrir et utiliser la voix. J‘aimerais également intégrer à mon enseignement des cours pour des personnes malvoyantes et aveugles.

Travailler individuellement avec toute personne en situation de handicap, serait un plaisir pour moi, et c’est là aussi que je peux apporter de l’aide !

Trois liens intéressants:

http://www.apte-autisme.net/ (le site en général)

http://www.apte-autisme.net/2011/10/video.html (un cours de piano)

http://www.resonancecontemporaine.org/musique.php?rubrique_id=18 (Ensemble Les Percussions de Treffort)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *